Comment dire ces paysages, cette montagne sacrée.
Ces cascades de verdure, ces cirques striés de coulures végétales, cette profusion moussue de galbes, de gorges et d’ombres, ont au premier regard l’enchantement des légendes. Derrière les apparences, un génie du fantastique habite cette nature primitive.
La lumière qui sourd de ce grand polyptyque est celle du monde premier .
Cette œuvre de Bernard Bouin qui parle de feuillages, de plantes carnivores, d’espèces rares, d’ascensions sans fin et de maëlstroms vertigineux, de croissances débridées et de moiteurs odorantes, de lumières et d’ombres, qui ploie et déploie des espaces, qui plie et qui tord des espèces, est d’abord une genèse, un jardin d’avant la chute.
L’œil qui se confronte à ce monde exubérant peuplé d’arbres séculaires, lianes, lichens, humus, a vite la sensation de franchir un seuil.
Au- delà du rideau végétal, dans la trouée, commence la magie.
C’est le plaisir retrouvé du « Voyage au centre de la terre », teinté d’appréhension, quand le lecteur atteint le lac intérieur sur les bords duquel poussent les séquoias, les fougères primitives, les graminées géantes d’un monde originel.
Le paradoxe de cette forêt : vierge d’avoir été épuisée par le jaillissement d’une sève débridée.
Que nous cachent ces croupes luxuriantes, ces anfractuosités moussues ? Des ténèbres humides, de noirs précipices, des gouffres cyclopéens, le pendant de la toile « l’ Origine du monde » de Courbet ? Nous présentons que tout peut arriver au-delà de ce seuil : aussi bien croiser une divinité endormie à l’apaisante chaleur matricielle qu’une gorgone hideuse nous indiquant le chemin des enfers ; aussi bien tomber sur une cité engloutie, Matchu-Pichu ou Angkor-Vat avalés par une nature carnivore, que sur un défilé de gravures rupestres ou peintures pariétales, charges d’aurochs avec leurs toisons tordues par le vent, forêt de cornes noires, danses des chasseurs-chamanes aux membres grêles, pluies de sagaies, galop de chevaux mafflus courant vers quel précipice ?
Tout est là : de notre angoisse originelle à notre destin inéluctable. Genèse et apocalypse. Emergence du Chaos et décadence des civilisations se délitant dans leur propre pourriture. Création et funérailles baroques. Souffle des origines et haleine putride de la mort.
Notre humaine condition en quelque sorte .
Mai 2000
C’est une peinture de silence que nous offre cet artiste dont les expositions régulières ne sont jamais répétitives. Aujourd’hui un ensemble de natures mortes et de paysages nous murmure une mélodie retenue.
Car il s’agit bien de cela, d’un art en suspension, arrêté jusqu’à l’oubli de lui-même.
Un dessin minutieux circonscrit les formes sur lesquelles la lumière glisse imperceptiblement. Les objets simples, apparaissent dans une sorte d’apesanteur qui en accentue le rayonnement lumineux. On retrouve cet équilibre naturel dans les paysages imprégnés d’une calme qui invite à la contemplation. Il y a là une vision du monde empreinte de ferveur et même d’un élan mystique pourrait-on dire.
Bernard Bouin aspire à nous faire partager les rapports secrets qui se tissent entre les choses et nous.
[ Gazette Hôtel Drouot 1er Janvier 1999 – Lydia Harambourg ]