Nicolas Poussin et Friedrich Nietzsche
Bernard Bouin explique les liens entre Poussin et Nietzsche
J’aime « les quatre Saisons » de Nicolas Poussin du Musée du Louvre... Avec ces quatorze tableaux inspirés par les œuvres de Nietzsche et de Richard Strauss ("Ainsi parlait Zarathoustra" par Bernard Bouin), j’ai aussi voulu aussi rendre un hommage à l’œuvre de Nicolas Poussin.
Avec ces textes , je voulais montrer ce qui les rassemble : leur goût pour Héraclite, les dieux grecs anciens. Ils étaient tous les deux des admirateurs de Montaigne.
Tommaso Campanella et Héraclite – Alain Mérot*
Ce dominicain, protégé par les Barberini et Cassiano Dal Pozzo, lié aux « libertins » français et poursuivi par l’inquisition, professait des idées d’une grande hardiesse. Sa cosmogonie repose sur l’union des contraires. Pour lui, l’univers est gouverné de par une force immanente, dérivée du soleil, le spiritus (qui rappelle le pneuma des stoïciens). Principe de chaleur et de génération, il s’unit à la terre, d’où procèdent le froid et la corruption, et engendre ainsi la vie, selon un cycle infini de naissances et de destruction…Par de là Campanella et son héliocentrisme, Poussin rejoindrait la cosmologie d’Héraclite, qui conçoit le l’univers comme le résultat harmonieux d’un équilibre entre amour et répulsion, le chaud et le froid, le sec et l’humide, etc., et d’une incessante transmutation des trois éléments de base, l’eau, la terre et le feu…
* Poussin – Editions Hazan
Les quatre saisons de Nicolas Poussin (1660 – 1665) – Pierre Rosenberg*
Ce dominicain, protégé par les Barberini et Cassiano Dal Pozzo, lié aux « libertins » français et poursuivi par l’inquisition, professait des idées d’une grande hardiesse. Sa cosmogonie repose sur l’union des contraires. Pour lui, l’univers est gouverné de par une force immanente, dérivée du soleil, le spiritus (qui rappelle le pneuma des stoïciens). Principe de chaleur et de génération, il s’unit à la terre, d’où procèdent le froid et la corruption, et engendre ainsi la vie, selon un cycle infini de naissances et de destruction…Par de là Campanella et son héliocentrisme, Poussin rejoindrait la cosmologie d’Héraclite, qui conçoit le l’univers comme le résultat harmonieux d’un équilibre entre amour et répulsion, le chaud et le froid, le sec et l’humide, etc., et d’une incessante transmutation des trois éléments de base, l’eau, la terre et le feu…
* Dictionnaire amoureux du Louvre – Plon
Les Saisons de Poussin et les dieux anciens – Alain Jaubert*
Le printemps, c’est en même temps l’Aube de l’humanité, c’est le lever du jour placé sous le signe d’Apollon, le dieu solaire, le feu.
L’été, c’est la maturité de l’Homme, c’est la terre, c’est midi, celle des moissons placé sous le signe de la déesse Cérès (Demeter). L’automne c’est aussi l’automne de la vie, le début du déclin, la vendange, est placée sous le signe de Bacchus (Dionysos) dieu du vin et de l’ivresse.
L’hiver, c’est la fin de la vie, la fureur des eaux déchainées est marquée par Pluton.
Ainsi les quatre phases, les quatre parties du jour, les quatre phases de la rédemption, les quatre âges de la vie, les quatre éléments, tous les thèmes sont liés à leur tour à quatre épisodes bibliques et à quatre dieux antiques et se recombinent dans l’idée du retour cyclique.
Poussin était adepte de la théorie des modes musicaux et architecturaux qui venaient de la tradition grecque pythagoricienne.
Un sujet devait être sous la dominante d’un mode et dans une série, il fallait alterner les temps forts et les temps faibles.
Cette façon d’organiser une série en modulant les éléments du décor, personnages, thèmes et symboles fait songer à la musique et cette forme en quatre mouvements caractéristiques du classicisme musical annonce la sonate ou la symphonie qui feront leur apparition peu après Poussin.
Poussin est proche d’une vision panthéiste, comme si le peintre cherchait à se fondre dans un ordre plus vaste, celui de la Nature. Il reprend à son compte cette
vision virgilienne : il y a une analogie entre l’Histoire individuelle et l’Histoire du Monde.
Sur le bord de la dernière toile figure le serpent, une sorte d’animal fétiche que Poussin montre dans des dessins et une vingtaine de tableaux (…)
Le serpent fascinant est là comme un symbole, de la menace, de la terreur et de la mort, mais aussi un signe de renouvellement du cycle. N’est-ce pas lui, qui caché dans le feuillage du printemps, conseillera à Eve de gouter le fruit défendu afin que tout recommence. Le serpent est aussi l’ultime signature de Poussin, zigzag jeté en écho à l’éclair divin qui déchire le ciel…
* Nicolas Poussin les Quatre saisons extraits – Palettes Arte Vidéo.
Le serpent de Poussin – Alain Mérot*
Le serpent occupe une place de choix dans l’univers poussinien. On s’est interrogé sur le sujet du Paysage aux deux nymphes de Chantilly : la clef en est sans doute l’énorme serpent en train de dévorer un oiseau, emprunté à la mosaïque de Palestrina…..Symbole ambivalent, il évoque le monde souterrain et la mort, mais aussi l’éternel recommencement, la promesse du renouveau – et c’est ainsi qu’il apparaîtra une dernière fois dans Le Déluge. Alors que dix ans auparavant le peintre étudiait dans le Paysage avec un homme tué par un serpent les « effets de la terreur », il semble maintenant acquiescer à l’ordre du monde, où la mort est indissociable de la vie… Poussin a peut-être donné là son ultime vision de l’Arcadie : la présence de la destruction au sein du bonheur n’est plus évoquée sur le monde tragique ou élégiaque, mais sous une lumière égale et comme éternelle… Et le cataclysme du déluge est moins une punition divine que la fin d’un cycle qui pourra recommencer – comme l’indique le puissant serpent qui rampe au premier plan….
* Poussin – Editions Hazan
Le serpent de Nietzsche et le mythe adamique – André Stanguennec*
La tripartition Thésée – Ariane – Dionysos est homologue de la tripartition Jahvé – l’humanité (Adam et Eve) – le serpent. Or la figure du serpent est l’un des symboles forts de Zarathoustra. Nous pouvons nous-mêmes « essayer » de déchiffrer le texte de la Genèse à la lumière de l’hypothèse de Dionysos. Que le serpent propose, par la consommation d’un fruit, la connaissance du Bien et du Mal, est fort compréhensible, dans une relecture dionysiaque-généalogique du mythe adamique. C’est ici que nous saisissons la fonction morale du serpent dionysiaque. Connaître le Bien et le Mal, c’est éventer le secret de Yahvé : loin d’être « créateur » du monde et de l’homme, ce dernier n’a en vérité imposé son règne qu’après avoir vaincu les monstres terrestres, chtoniens et marins, qui assuraient leur règne bien avant le sien. Tel est le secret que Yahvé interdit que l’on connaisse : antérieures à sa victoire et menaçant sans cesse de reprendre le dessus, ont régné les puissances de « l’abîme …Le serpent dionysiaque est leur messager, lui qui, sans forme à priori, se coule dans les méandres infinis du réel, parcoure tous les détours des labyrinthes, se plie et se replie au gré des circonstances infiniment hasardeuses du monde. Le serpent est donc Dionysos proposant de révéler à l’humanité (d’abord à Eve-Ariane) le secret, en fait le mensonge de Yahvé quant à l’origine des valeurs du bien et du mal…Dans l’éthique de Yahvé, Eve fut d’abord soumise à Adam, lui-même soumis à Yahvé, comme Ariane le fut à Thésée, lui-même soumis à Zeus dans le mythe grec : la raison domine et enchaîne la sensibilité. C’est par l’intermédiaire Eve – Ariane que le principe terrestre renverse cette domination. Ariane désirant l’éternité, est séduite par le serpent Dionysos qui lui donne l’éternité terrestre….
* «Le questionnement moral de Nietzsche» Presses Universitaires du Septentrion 2005
A propos de l’Eternel retour de Nietzsche – Jacques Darriulat*
L’éternel retour est surtout le retour de l’éternité par le bonheur de la création. Telle est sans doute la raison pour laquelle l’extase de Silvaplana (de Nietzsche), préfigure de la révélation de l’éternel retour, se réfère au tableau du Poussin,
« Et in Arcadia ego ».
Il faut comprendre que ce n’est pas le monde qui ressemble alors à l’image inventée par le peintre, mais inversement que c’est l’image du peintre qui nous révèle la surnaturelle magnificence de la terre. Le regard de Poussin ou de Claude nous a appris à considérer la terre comme un paradis illuminé par une gloire plus qu’humaine, à vivre au sein de la nature (l’idylle), malgré la mort, dans l’éternité du mythe (l’héroïsme) : « Il fallait sentir (empfinden) comme Poussin et ses élèves : à la fois d’une façon héroïque et idyllique ». L’art est le révélateur de l’éternité, et l’artiste nous intéresse à la vie [..]. Cette thèse, de la transfiguration du monde par l’art, de sa recréation par l’invention de nouvelles « valeurs », retourne la maxime classique : ce n’est pas l’art qui imite la nature, c’est inversement la nature qui imite l’art. Elle n’est pas propre à Nietzsche, mais inspire alors de nombreux esprits, parmi les plus subtils et les plus artistes.
* « Deviens qui tu es »
L’Eternité terrestre de Nicolas Poussin – Bernard Bouin
Le serpent du déluge de Poussin n’est sans doute pas celui de l’Eternel Retour de Nietzsche, mais il existe des correspondances entre leur vision du Monde. Les sources surement, Héraclite et la fréquentation des dieux grecs anciens mais surtout l’observation attentive de la Nature et son cycle infini de naissances et de destructions….et le serpent. Les dernières toiles de Nicolas Poussin, dont les Saisons dans lesquelles Poussin nous donne « son ultime vision de l’Arcadie » (la présence de la destruction au sein du bonheur n’est plus évoquée sur le mode tragique ou élégiaque, mais sous une lumière égale et comme éternelle – Alain Mérot), nous laissent penser que le grand peintre avait atteint l’éternité terrestre….
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