Les figures et symboles de la mythologie nietzschéenne

Zarathoustra

Nietzsche choisit paradoxalement le nom avestique de Zoroastre (VIIe siècle avant J.-C.), le prophète réformateur de la religion mazdéenne – religion dualiste fondée sur l’antagonisme du bien et du mal – pour désigner le «premier immoraliste» qui professe une doctrine «extra-morale», au-delà du bien et du mal. Zarathoustra est le prophète alcyonien qui enseigne à l’humanité (qui n’en veut pas) les doctrines complémentaires du surhomme et de l’éternel retour du même. Le philosophe en fait même (comme de Dionysos) le «père» du surhomme; mais, tenant du lion plutôt que de l’enfant, Zarathoustra le danseur n’est que l’ultime porte-parole de Dionysos.

*d’après Les figures de la mythologie nietzschéenne – L’express.fr

 

L’aigle *

Celui qui vole, le plus noble des animaux, symbolise l’autre monde, celui de la métaphysique et des religions traditionnelles.

*d’après Les figures de la mythologie nietzschéenne – L’express.fr

 

Le serpent d’après Gilles Deleuze

Le serpent est enroulé au cou de son ami l’aigle. Tous les deux expriment donc l’éternel Retour, comme Alliance, comme anneau dans l’anneau, comme fiançailles du couple divin Dionysos-Ariane. Mais ils l’expriment de manière animale, comme une certitude immédiate ou une évidence naturelle. Le serpent déroulé exprime ce qu’il y a d’insupportable et d’impossible dans l’éternel Retour, tant qu’on le prend pour une certitude naturelle d’après laquelle « tout revient ». Le serpent, l’animal rampant, le plus rusé, est le «sens de la terre».

 

Apollon et Dionysos d’après Dorian Astor

Apollon, la vie se donne comme une création d’images et de formes individuelles, de limites et de mesure – c’est le principe apollinien de l’apparence.

Dionysos, la vie est flux et devenir perpétuel, démesure, excès aveugle, réalité supra-individuelle – c’est le principe dionysiaque de la métamorphose.

Ainsi l’apollinien est la puissance de régulation du dionysiaque, et le dionysiaque, la puissance du débordement de l’apollinien. Nietzsche exprime cet antagonisme constitutif de tout ce qui vit en une série d’analogies : opposition psychologique entre l’état de rêve et l’ivresse ; opposition métaphysique entre le monde conçu comme une apparence illusoire et le monde conçu comme instinct aveugle ; opposition esthétique entre les arts visuels et plastiques (dont la poésie épique, où l’homme se contemple dans un mythe) et les arts non plastiques, essentiellement la musique (sous forme de dithyrambe, où l’homme fait l’expérience, par le chant et la danse, d’une transe collective)…

Pour reconquérir le dionysiaque, Nietzsche réunit peu à peu les deux principes antagonistes en un seul dieu tandis qu’Apollon disparaît des textes, Dionysos recueille l’essentiel des qualités apolliniennes. Il devient la force primordiale de l’univers, le principe porteur de la réconciliation entre être et apparence, vérité et illusion. Si bien qu’à la fin de sa vie, Nietzsche fait de Dionysos une nouvelle figure du « rédempteur » opposé au « Crucifié ».

 

Ariane d’après André Stanguennec*

Ariane et le labyrinthe:

Ariane a d’abord aidé Thésée à vaincre le Minotaure. Or, le Minotaure n’était autre que Dionysos-taureau lui-même…Le « fil d’Ariane » est le désir d’éternité de l’âme humaine qui sauve l’esprit rationnel et lui permet de nier le Temps de la terre, vu alors comme un passage, destruction, négation, dissociation. Mais Ariane c’est aussi, en raison de la spécificité de l’âme humaine, celle du discours, le « fil du discours », fil d’un discours « éclairant » le labyrinthe, celui de la « raison »…

La pelote de fil fournie à Thésée par Ariane n’est pas, selon la légende, la seule aide qu’elle dispensa : le rayonnement de sa couronne lumineuse était si puissant qu’il éclairait les détours du labyrinthe. C’est ce « fil de lumière » qui donne courage et intelligence (mémoire) à Thésée, en lui permettant de remonter du labyrinthe vers la surface de la terre sur laquelle il établit son règne…Ainsi, l’Eternité promise par Thésée est l’immortalité de l’âme supra-temporelle, une Eternité au dessus du temps…

Qui à part moi sait ce qu’est Ariane?» (Ecce Homo). Tant qu’elle aime Thésée, contre-image du surhomme, et qu’elle le guide hors du labyrinthe, Ariane n’est que le symbole de l’inventivité humaine. Ce n’est qu’une fois qu’elle forme avec Dionysos-Taureau le couple érotique présidant à la naissance de l’éternel retour et du surhomme, qu’elle devient pleinement elle-même: l’Anima, l’esprit capable de dire «oui».

Ariane et Dionysos :

Si l’humanité peut dire l’éternité en s’unissant à elle par le discours, c’est parce qu’elle peut l’entendre, ce qui signifie tout à la fois l’écouter et la comprendre. Les oreilles d’Ariane symbolisent cette « écoute compréhensive » de l’être en tant qu’éternel retour et volonté de puissance.

Nietzsche y fait référence en de nombreux passages. Les « petites oreilles » d’Ariane, réconciliée avec Dionysos après Naxos, sont capables d’écouter et de comprendre le cercle de l’éternel retour. Elles ont la structure circulaire et réticulée du labyrinthe du monde lui-même, dont elles imitent la forme. Les oreilles d’Ariane sont à l’opposé des grandes et des longues oreilles de l’âne qui n’est capable d’entendre et de répéter que des significations simples, abstraites, des « grands mots », ceux des sagesses métaphysiques et des religions de la transcendance…

Ses oreilles sont capables d’entendre le message murmuré par Dionysos, d’accueillir le sens de sa sagesse : « sois intelligente Ariane ! Tu as de petites oreilles, tu as mes oreilles : mets-y une parole intelligente …je suis ton labyrinthe… ». Ariane entend le message de Dionysos et en retour, par son affirmation humaine, lui adresse une parole « avisée », celle qui lui correspond en vérité. Ils échangent leurs « oui » en une alliance dont le surhomme sera le fruit.

 

Le monde : Ordre et Chaos d’après André Stanguennec

Le monde est ordre et « aussi » chaos : ce qui en signifie la fascination sacrée, c’est que l’ordre organique et la loi géométrique n’y sont que des perspectives étroitement et provisoirement locales, nées au sein d’un chaos tempétueux et écumant qui continue de coexister à coté d’elles. L’ordre est inséparable, de fait, du chaos et réciproquement…

…Ceci posé, qui est essentiel, le monde n’en a pas moins en lui-même un sens. Avoir un sens, c’est avoir une orientation et une signification. Or, les forces qui animent le monde nietzschéen ont une orientation constante. Elles sont orientées fatalement, depuis la plus petite d’entre elles, par la volonté de puissance.

*Le questionnement moral chez Nietzsche- Presses Universitaires du septentrion 2005.

 

Les cloches et les volcans d’après Paolo D’Iorio*

Les cloches :

Ce sont des souvenirs anciens et profonds qui expliquent pourquoi dans le son des cloches, Nietzsche entend toute la mélancolie. A ce son qui représentait le bonheur de l’enfance, la maison, la famille, allait s’associer désormais l’horreur de la mort : « Enfin, au bout d’une longue période, l’effroyable se produisit : mon père mourut ».

Cette mélodie du temps, enfantine et effroyable et si mélancolique deviendra les douze coups de Minuit : la cloche du nihilisme d’Ainsi Parlait Zarathoustra. Le vieux bourdon de Minuit aussi se transformera dans « le Chant d’ivresse » en cloche d’azur de l’innocence : « Voici que mon monde est devenu parfait, Minuit c’est aussi Midi, la douleur est une joie aussi, la malédiction est bénédiction, la Nuit est un Soleil aussi ».

Les volcans :

A Sorrente, de la terrasse de la Villa Rubinacci où il séjourne en 1876, Nietzsche a pu observer le Golfe de Naples.

Certes le Vésuve ne se trouve pas sur une île mais si on le regarde depuis Sorrente, il semble former une île à droite, un pendant à l’île d’Ischia qui se trouve sur la gauche. Chacune est volcanique : même sans ce que nous apprennent les brouillons, on reconnaît clairement dans la description de l’île du chien de feu, le mont Vésuve (Le Vésuve dans la toile « La joie 114 x 146 cm» image de l’abris-bus avec Dionysos-Apollon-le serpent). Elle représente tous les démons « de la révolte et du crachat », éruption du volcan qui détruit la ville, momifie ses habitants (Pompéi), renverse les statues et change tout pour que rien ne change.

Le volcan de l’île Ischia, modèle des îles bienheureuses habitées par les esprits libres, est un instrument de transformation graduel qui sert à mettre en mouvement et à accélérer un processus de croissance (Il est représenté dans la toile « Hiver 81 x 100 cm » du Chant des Saisons : un soleil rose-pâle se lève à l’aube d’un nouveau jour).

*Le voyage de Nietzsche à Sorrente. Cnrs Editions 2012.

Articles liés

Les commentaires pour cette publication sont clos.